Mgr Journet sur la voie de la béatification
Le cardinal, décédé il y a 40 ans, fait l’objet de travaux préliminaires en vue de sa béatification. L’abbé Philippe Blanc, postulateur de la cause, explique la démarche, à l’approche d’un colloque sur l’éminent théologien.
PROPOS RECUEILLIS PAR PASCAL FLEURY, LA LIBERTE
C’est que le cardinal fribourgo-genevois, dont on commémore les 40 ans de la mort et les 50 ans de l’ordination épiscopale, est véritablement en marche vers la béatification. L’abbé Philippe Blanc, curé modérateur de l’Unité pastorale Saint-Joseph à Fribourg et auteur d’une thèse de doctorat sur la doctrine de Charles Journet, a été nommé l’an dernier postulateur de la cause de béatification par Mgr Charles Morerod. Il prépare actuellement le dossier – ou «libelle» – qui visera à démontrer la réputation de sainteté du grand théologien. Ses explications.
Comment a été lancée la cause de béatification du cardinal Journet et les préparatifs seront-ils longs ?
Abbé Philippe Blanc : L’initiative de cette cause de béatification revient à la Fondation du cardinal Journet, dont le président est l’évêque du diocèse, Mgr Morerod. La procédure est régie par l’instruction «Sanctorum Mater», publiée en 2007 par la Congrégation romaine pour la cause des saints. Je ne suis le postulateur de la cause de béatification que depuis avril 2014. Il faudra compter encore au moins deux ans pour rédiger le libelle.
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Le cardinal Charles Journet, une oeuvre de l’artiste Armand Niquille (1965)
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Quelles tâches devez-vous accomplir en tant que postulateur ?
Abbé Philippe Blanc : Un gros travail a déjà été fait au niveau des archives. Mais il reste beaucoup à entreprendre au niveau des témoignages vécus. Nous avons une multitude de témoignages d’anciens élèves, de religieux, de personnes qu’il a accompagnées spirituellement ou encore d’artistes qui l’ont rencontré et entendu. Ces personnes affirment souvent avoir été «converties» en sa présence. Elles mettent aussi en valeur son humilité, sa simplicité et sa charité.
Au niveau de sa biographie, beaucoup de choses ont déjà été faites grâce, entre autres, au travail magnifique de l’ancien secrétaire général de la Fondation Journet, Guy Boissard, auteur de plusieurs ouvrages sur le cardinal. Il faudra ensuite rédiger le document d’argumentation sur sa réputation de sainteté. Dans le meilleur des cas, ce libelle pourra être transmis à Mgr Morerod à la fin 2017. S’il l’accepte, la cause de béatification pourra alors être ouverte à Rome.
Ce sera à Mgr Morerod de se prononcer. Mais comme il est aussi président de la Fondation du cardinal Journet, ne risque-t-il pas d’être juge et partie ?
Abbé Philippe Blanc : Selon la procédure, c’est à l’évêque du diocèse de se prononcer, après avoir demandé son avis à la Conférence épiscopale. Le fait qu’il soit président de la fondation n’empêchera pas la Conférence épiscopale, si elle le juge nécessaire, de demander une prolongation de l’étude ou une meilleure argumentation. Tout est possible.
Reconnaît-on déjà un miracle au cardinal Journet ?
Abbé Philippe Blanc : Pour la rédaction du libelle, on n’a pas besoin de miracle. Mais effectivement, ensuite, lorsque la cause de béatification sera ouverte, il faudra un miracle. On a déjà un témoignage, un cas qui s’est présenté dans le canton du Valais, mais qui reste pour l’instant très discret. On n’a pas encore ouvert d’enquête et on veut d’abord bien vérifier les choses. Il s’agit d’éviter toute exultation.
Autre point important pour une béatification, la notoriété du cardinal Journet doit dépasser le diocèse. Vous qui étiez auparavant curé à Monaco, estimez-vous qu’il répond à cette condition ?
Abbé Philippe Blanc : S’il est connu sur le Rocher, c’est peut-être parce que j’en ai parlé, après avoir moi-même découvert sa théologie à Fribourg, où j’ai fait une partie de mes études. Pour l’instant, on ne peut pas dire que le cardinal Journet jouisse d’une reconnaissance universelle. Mais il est déjà bien connu en Pologne, où il s’est rendu plusieurs fois, et aux Etats-Unis, où une chaire d’université porte son nom. En France et en Italie, plusieurs monastères se réfèrent à lui, à sa théologie et à son accompagnement spirituel, parce qu’il est allé y prêcher. Il a donné par exemple des conférences aux Petit Frères et Petites Soeur de Jésus. Récemment, lors de visites chez les Carmélites d’Ars et du Reposoir en Haute-Savoie, j’ai été frappé par la fraîcheur du souvenir du passage de Charles Journet, même 60 ans après sa dernière visite. Une partie de ses oeuvres ont aussi été traduites en allemand, en italien, en portugais ou en anglais. Il est surtout connu dans le milieu théologien.
Selon vous, quel sens y a-t-il encore aujourd’hui à créer un bienheureux ou un saint ?
Abbé Philippe Blanc : On ne béatifie pas quelqu’un pour son oeuvre, mais pour sa personne, si l’on y reconnaît le reflet d’une présence divine. Une religieuse disait de lui qu’en le voyant, on pouvait comprendre ce que signifie le mystère de l’incarnation qui se prolonge à travers le temps. Un bienheureux ou un saint, c’est un signe pour notre temps, non seulement pour les prêtres et pour la hiérarchie de l’Eglise, mais pour tout le peuple de Dieu. Charles Journet était un grand théologien, mais aussi un pasteur, un prêtre dans toute la plénitude de ce que cela représente. Il était impliqué dans la culture, les arts, la littérature...
Et il y a sa dimension politique...
Abbé Philippe Blanc : Il avait un regard très ouvert sur le monde, pour y insuffler un esprit chrétien. Sa revue «Nova et Vetera», qu’il a fondée en 1926, en témoigne. Sa pensée politique était toute de courage et de liberté. Il osait prononcer des paroles qui, à l’époque, n’allaient pas dans le sens de la majorité, même à l’intérieur de l’Eglise. Ses éditoriaux étaient très forts. Il dénonçait le franquisme et le nazisme. Certains de ses écrits ont d’ailleurs été censurés par l’armée ou par l’évêché.
Dans le monde d’aujourd’hui, cette voix toute simple, mais qui ose dire la vérité, reste parlante. Charles Journet peut nous aider à comprendre que le regard chrétien sur le monde n’est pas qu’un regard interne à l’Eglise. C’est d’ailleurs l’un des défis à relever. Si le pape François insiste tant sur cette dimension de l’ouverture, c’est dans cette même optique. Jean-Paul II le disait déjà: nous avons à travailler à la transformation du monde. Je pense que Charles Journet, à sa manière, a travaillé à cela. Et peut-être que les chrétiens ont à prendre davantage conscience de cette responsabilité, pas seulement à l’égard de la sauvegarde de l’Eglise, mais par rapport à la transformation du monde. Le cardinal le soulignait: «Le monde est appelé à devenir Eglise.»
samedi 21 novembre 2015